Il faut bien commencer quelque part
AMATEUR
« - A la fin, de quoi tu te mêles ?
- Mais je ne comprends p...
- Tu fais partie d’un staff concepteur de programmes ?
- Moi ? Non, je suis fonctionnaire de catégorie B dans l...
- Ah ! Fais-tu partie d’une unité qui bosse dans une grille ?
- Une «grille», une «unité» ? Je ne sais même pas ce que ça veut dire !
- M’étonne pas. Tu animes des talk ?
- ... !
- Alors, tu es un pro de l’électro : ingénieur, technicien, tout ça...?
- Fais pas la différence entre une onde et une impulsion.
- A te voir on s’en doute. Tu achètes, tu vends, tu échanges des programmes ?
- J’ignorais que cela se vendît .
- Naïf, va ! Retourne t’asseoir dans ton canapé et laisse faire les pros. tu n’es qu’un amateur.
- Justement, je suis un amateur.
- Arrête de jouer sur les mots.
- Pas du tout, je joue avec les mots, et pas dessus. D’abord c’est un terme noble : il vient du latin «aimer».
- Je vois pas le rapport. Comment peux-tu vouloir écrire sur la télévision, alors que tu n’y connais rien, mais alors RIEN !
- Justement, c’est le regard d’un téléspectateur, Critique au sens plein du mot, comme un critique de cinéma, de littérature...
- Mon coco, là tu manques de modestie. Pas de chance, il y a des gens de talent qui écrivent sur la télé à longueur de journée. C’est même leur métier. tu vois que tu n’as rien inventé.
- Mais non, ainsi que vous l’avez dit, ce sont des professionnels : ils font partie intégrante de la profession ; ils appartiennent au sérail ; ce sont des initiés. Bref, vous comprenez ce que je veux dire ?
- Oh, très bien. On en revient à l’essentiel : tu ne peux prétendre t’égaler à eux, et surtout tu ne vas rien apporter de nouveau dans la chronique TV.
- Bon. C’est le valet Figaro, je crois, qui dit qu’il n’est pas indispensable de posséder quelque chose pour en parler. Je le choisis pour modèle. et Candide aussi, pour faire bonne mesure tant qu’on y est. D’ailleurs vous venez de m’appeler «naïf», je vous remercie du compliment. Non, ne m’interrompez pas, laissez-moi aller jusqu’au bout, je vous prie ; les sarcasmes ne sont drôles qu’un instant, et surtout ils font jamais avancer un débat.
Je ne veux pas faire de chronique de la télévision, primo parce que ce n’est pas mon objet ; deuxio parce que je n’ai pas à ma disposition une tribune qui m’engage à répandre pour le plus grand nombre ma subjectivité et mes humeurs sur des émissions en cours ou à venir...
- Troisio personne ne te demandes ton avis. Est-ce qu’au moins tu fais partie d’un panel représentatif ?
- Ecoutez, vous n’allez pas recommencer avec vos barbarismes. On a compris, vous faites partie de la maison, vous tenez à ce que cela se sache. Je suis à l’opposé : je veux, je souhaite, je désire, je prétends, puiser dans mes souvenirs télévisuels en vrac pour les ramener à la mémoire de ceux que l’amnésie a gagnés ou les raconter à ceux qui n’ont pas pu les connaître, afin de leur donner du sens, adossés à des analyses pertinentes de penseurs intelligents qui ont écrit sur la question. La théorie et la pratique, en quelque sorte.
- Ca risque d’être passionnant, j’en baille déjà. Et puis, elle est où l’originalité ? Recopier des phrases des autres, et raconter des vieux trucs sans intérêt que tout le monde a oubliés. Gaffe ! Il me semble qu’on lui est tombé sur le rable au père Jacques Attali, parce qu’un de ses bouquins n’était qu’un copié/collé de phrases piquées chez...
- Ben voyons, encore les sarcasmes ! Et la caricature, en prime !
- Si on a reproché quelque chose à Jacques Attali, ce n’est pas d’avoir VOLE des phrases mais de ne pas pas avoir cité entre guillemets. On pourrait débattre des heures sur la nuance entre citer, gloser,résumer et synthétiser. Enfin bref...
Comptez-sur moi au contraire pour mettre tout en oeuvre pour capter mon lecteur, comme vous savez ficeler vos téléspectateurs : «entrez, entrez, Mesdames et Messieurs, je vous promets du rire et des larmes, de la cruauté et de l’émotion ! Vous vous agacerez au passage, de moi, de vous, des autres ! Vous direz : « Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il a raison. Comment j’ai pu être aveugle à ce point !». Je vous promets le feu et puis la glace, tout et son contraire, car c’est la contradiction qu’il nous faut pour lutter contre ce pachyderme qui broute en écrasant tout sur son passage, ce monolithe posé là depuis des lustres. La contradiction contre la pensée à deux sous, la pensée formatée, le prêt-à-penser ! »
- Ok. Encore un pamphlet de plus. Pas un roman, mais un dictionnaire. Ca change pas grand chose.
- Mais non, pas un pamphlet, enfin, pas uniquement ; mais si, un roman, enfin, de la fiction aussi, mais pas seulement.
- Bravo à celui qui est capable de se retrouver dans un tel foutoir ! Reste à trouver des lecteurs. Bonne chance...
